Interview de Doctor Flake
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Interview de Doctor Flake

Découvrez l'interview de Jean Marie Leger a.k.a Doctor Flake, un vrai artiste indépendant.

Flirtant entre musique électronique et beats hip-hop, Doctor Flake nous offre depuis une quinzaine d’années une musique planante, aux boucles envoûtantes qui l’a emmené à se produire aux côtes de Dj Krush ou Amon Tobin. Nous sommes donc allés à sa rencontre pour qu’il nous parle de musique et de son rapport au vinyl.

Bonjour, peux-tu te présenter ?

Jean Marie Leger alias Doctor Flake, artiste musicien, j'ai 45 ans.

Quelles sont les différentes étapes par lesquelles tu passes pour sortir un album en tant qu’artiste indépendant et autoproduit ?

Je compose l'album, bien souvent la ligne mélodique et la succession d'accords lead appellent les autres éléments comme la batterie, la basse, etc. Je structure et mixe les titres avant de les faire masteriser pour les différents supports (streaming, CD, vinyles). Ce processus a fonctionné jusqu'au dernier album, je distinguais la phase de composition de la phase de mixage où je préférerais confier le mixage à un ingénieur du son. Le mixage consiste à faire cohabiter les éléments d'un morceau en les égalisant et en les compressant. Parfois la compression fait office d'égalisation, si ce n'est pas le cas il faut mettre en valeur le son choisi en lui retirant des fréquences qui l'empêche de s'intégrer parfaitement au reste. Aujourd’hui la compression et l’égalisation sont intégrées dès le départ de mon morceau alors que seule une égalisation sommaire était envisagée par le passé. Cette approche est plus subjective mais elle est plus naturelle et me permet d'avoir dès le début un rendu presque fini du morceau. Les sessions de mixage ont souvent été des moments douloureux où j'avais le sentiment de perdre parfois l'essence de certains titres, il y avait un deuil à faire entre les maquettes et les morceaux mixés finaux et c'était difficile sur certains titres. Peut-être qu'avec ma nouvelle façon de faire, ces morceaux n'auraient pas existé. Au final, avec le temps j'ai intégré compression et égalisation à mon processus créatif.

Une fois mixés, je dépose ces morceaux à la SACEM. La fabrication des différents supports se lance après avoir reçu les autorisations SDRM (Société pour l'administration du Droit de Reproduction mécanique). Ils sont ensuite livrables au distributeur ou au public en direct.

As-tu le sentiment d’avoir évolué musicalement depuis tes débuts ?

Oui, à la fois dans le style et la façon de faire même si le sample reste toujours une clef de voûte de mon processus créatif. Ma musique est devenue plus électronique au fil des années car j'utilise plus de synthés et de boîtes à rythme aujourd’hui.

Pour les 2 premiers albums, j'ai échantillonné pas mal de boucles avant de construire les morceaux autour de ces sources et progressivement j'ai évolué vers des collaborations à partir du 3e jusqu'au 7e album (avec les musiciens suivants : Vale Poher, Christine Ott, Yacine El Fath, Malika, Nawelle Saidi, Black Sifichi, Miscellaneous, Chill Bump, Ira lee, Awon, H-burns, Dj Low Cut & Dj Pee).

Au niveau du style, les 2 premiers albums sont catalogués abstract hip hop, les albums 3, 4, 5, 6 s'ouvrent aux registres trip hop, tap, le dernier revient à l'abstract du début et depuis 2 ans je compose des titres plus deep house, progressive house, sur des formats un peu plus longs qu'avant.

Concernant la façon de faire, nous avons commencé à intégrer les guitares de Vale Poher dès le 3ème album et depuis 8 ans maintenant, le travail avec le guitariste Yacine El Fath m'a permis de dépasser la limite du sample. On a pu gagner en flexibilité et en musicalité en s'inspirant des samples et en réinventant des textures et des mélodies.

Ton public a eu droit depuis quelques mois à quelques nouveaux morceaux diffusés pour l’instant en streaming, est-ce que des projets sont dans les tuyaux ?

J'ai un album qui pourrait être prêt, plus d’une dizaine de titres dont 4 singles déjà sortis. Peut être que je sortirai un 5ème single avant de sortir un album. Je ne sais pas encore. J’ai sorti une version dub du morceau Cinema le 24 juillet dernier et ensuite je verrai. Ma posture est le reflet du court termisme ambiant, je ne prévois plus rien a moyen terme. Je sens bien un titre ? Je le sors dans 3 semaines. Il rentre dans une playlist Spotify ? Tant mieux, je savoure la visibilité et je ressors un autre titre quand j’en suis content en essayant de décrocher une nouvelle playlist. Tout est devenu instantané et facilité par les outils mis à disposition par mon distributeur digital et une appli comme Spotify For Artists.

Après sept albums, quel est ton regard sur l’industrie du disque ?

Physiquement, elle n’aura pas duré longtemps dans l'histoire de la musique mais restera la dernière présente dans les supermarchés pour vendre des albums et compilations majoritairement grand public. C'est quand même des sociétés qui auront réussi à vendre 4/5 supports différents d'un même artiste (vinyles, k7, cd, mp3, streaming)... parfois au même client ! A mon niveau, les ventes physiques en ligne (via mon site) se sont ralenties depuis 5 ans et se sont littéralement effondrées ces 2 dernières années). C'est vraiment devenu anecdotique de vendre un disque par rapport à une activité importante entre 2005 et 2015. Le constat est le même via mon distributeur.

Heureusement, le streaming est un bon atout pour monétiser son travail. Ce n’est pas mirobolant mais c'est suffisant pour continuer. A condition bien sûr d'être producteur de ses morceaux. À défaut, il y a pas mal d'artistes signés qui pleurent en voyant les petites répartitions de droits d'auteur sur le streaming. 

Pour conclure, on peut constater que dans sa chute, l’industrie du disque s’est progressivement concentrée sur l’édition, le dernier bastion pour tenter de monétiser une œuvre en la plaçant dans des publicités, séries où  longs métrages

Tes deux derniers albums sont sortis en vinyl et tu as également deux maxis « best of » en vinyl dans ta discographie, quel est ton lien avec ce support ?

J'ai commencé par une compilation en 2013 qui regroupait 6 titres bien écoutés en streaming et j'ai renouvelé l'opération en 2017 avec 6 autres titres. Pour les 2 albums, c'est deux financements participatifs qui m'ont permis de les réaliser, c'est un super principe de précommande et d'avance de trésorerie. Le disque sort en étant amorti, c'est moins de stress d'une part et plus de ventes d'autre part puisque les fans se mobilisent pour faire exister un projet. Sans ces financements, je n'en aurais pas vendu autant.

Je n'ai plus trop de lien avec le vinyl, je n'en achète quasiment plus. Autant pour le sampling que pour l’écoute. Je streame et j'achète des fichiers numériques sur Bandcamp ou Beatport. J'envisage peut être de jouer des dj sets avec un support digital, bien plus excitant que le vinyle en terme de possibilités. Le vinyle reste intéressant pour du digging d'époque (de 1920 à 1980 en gros) sur les 5 continents, puisque la plupart de ces sorties n'ont pas bénéficié de sorties CD ni digitales. C’est finalement un bel objet de collection et / ou destiné à de l’échantillonnage inédit. C’est aussi un bon souvenir pour le public après un concert, moment pendant lequel la crise du disque n’existe plus. C'est le meilleur moment pour vendre. Le public garde une trace physique et un autographe. Et toi tu gardes l’énergie des gens heureux et accessoirement de la marge.

C’est quoi ton coup de cœur musical du moment ?

J'ai bien aimé le dernier album d'Acid Arab (Jdid) et le dernier album d'Idris Ackamoor et aussi Unifony et leur album éponyme, superbe disque d'ambient.

Merci pour cette discussion enrichissante.

Merci à vous !

Retrouvez Doctor Flake sur :

Son album "Six"
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