Interview de Franck Descollonges
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Interview de Franck Descollonges

Franck Descollonges nous a accordé une interview pour en savoir plus sur son label et son lien avec le vinyle

Le label français fondé en 2007 est devenu au fil des ans une référence dans le paysage musical français, un gage de qualité qui, avec des sorties variées (albums, rééditions, compilations) tournant principalement autour du jazz et du funk, s’est créé un public fidèle et curieux. Leur catalogue va du reggae de Blundetto, à des rééditions du mythique label de jazz US Blue Note, en passant par les fameuses compilations Zandoli dédiées au zouk, les disques et les compilations du producteur français Guts, de la musique éthiopienne (Mulatu Astatke et consorts) ou antillaise (Edmony Krater, Les Vikings de la Guadeloupe), le jazz made in France de Cotonete ou Florian Pellissier... Eclectique on vous dit ! Entre une brocante et une session de surf, nous avons réussi à mettre la main sur Franck Descollonges pour qu’il nous parle d’Heavenly Sweetness et de son amour pour le vinyle.

Bonjour Franck, peux-tu te présenter ainsi que ton label ?

Je m’appelle Franck Descollonges et je dirige le label Heavenly Sweetness qui a maintenant 12 ans. C’est un label qui a été monté en 2007 avec Antoine Rajon, mon associé à l’époque, et qui à la base était un label de jazz spécialisé dans le vinyl mais qui s’est ensuite ouvert à d’autres musiques, que ce soit soul, funk, reggae, hip hop... en fonction des projets qu’on recevait et des artistes qu’on signait.

Quand on regarde ou qu’on connait un peu vos sorties depuis le début, on voit clairement que le label a une ligne éditoriale assez large, comment cela se passe-t-il pour décider des signatures ? Des coups de cœurs artistiques ? Humains peut-être ?

C’est un peu les deux à la fois ! L’idée c’était de créer un vrai catalogue. Maintenant il y a plein de labels un peu fourre-tout où c’est simplement des noms les uns après les autres. L’idée pour nous c’était plus de s’inscrire toute proportion gardée dans le modèle de labels un peu mythiques comme Atlantic, Motown, Blue Note ou plus récemment Hyperdub pour le dubstep, Mo’wax, Talkin’ Loud, Nina Tune, Warp etc. Mes modèles sont vraiment les labels anglais des années 90. Comme eux l’idée c’était de se dire « on ne va pas s’enfermer dans un style tout en gardant une ligne éditoriale de qualité ». Par exemple si quelqu’un a acheté 2 ou 3 albums et qu’il tombe sur la compilation Kouté jazz, qui est dédiée au jazz antillais, qu’il puisse se dire « c’est pas forcément mon truc à la base le jazz antillais mais puisque c’est sur ce label que j’aime bien, je vais essayer, ou au moins aller écouter pour découvrir ».


"la compilation Kouté jazz, qui est dédiée au jazz antillais"

C’est une relation de confiance qui se crée...

Oui, c’est exactement ça ! Créer une relation de confiance avec des gens qui se reconnaissent dans nos sorties, le travail qui est fait, dans nos coups de cœur pour des artistes. Autant le public que les artistes d’ailleurs. Par exemple Guts, on sort ses albums, il a aussi fait des compilations et maintenant il a carrément créé son label (Pura Vida Sounds) à l’intérieur d’Heavenly Sweetness ! C’est vraiment un échange. Maintenant on a aussi des collectionneurs qui nous proposent des projets de compilations, comme Julien Achard (Digger Digest, responsable de quelques rééditions merveilleuses et de compilations, notamment Digital zandoli, Freedom jazz France, Kouté jazz etc.). Moi ce qui m’a emmené à monter un label c’est vraiment la passion et la volonté de partager avec des gens. Au final le label c’est un peu une famille d’artistes où il y a de nombreux échanges : un tel va jouer sur l’album d’un autre, puis ça sera peut-être l’inverse dans quelques années. C’est ce qui s’est passé avec Joseph Raspail : il a d’abord joué sur pas mal de disques, notamment ceux d’Anthony Joseph, puis on lui a proposé de faire son propre album. C’est vraiment ça l’esprit : un label qui soit une maison pour les artistes ! L’idée c’est de s’adapter à chacun en fonction de ses désirs et de son rythme puis de travailler dans la longueur, pas simplement sortir un disque et bye bye si il ne se vend pas bien. Nous ne raisonnons pas du tout comme ça, aussi parce qu’on a des relations fortes avec les artistes. On parle beaucoup, on réfléchit, il y a toujours un échange, on est là pour les mettre dans les meilleurs conditions.


"Joseph Raspail : il a d’abord joué sur pas mal de disques, notamment ceux d’Anthony Joseph"

Le support vinyle, ca représente quoi, aussi bien pour le label que pour toi à titre perso ?

Le vinyle c’est ce qui a fait que le label existe ! Je suis passionné de musique depuis tout petit, et puis vers 95, je me suis relancé dans ce format via le hip hop ou la musique électronique. C’est vraiment un support que j’adore, c’est comme ça que j’ai fait mon éducation musicale. Et du coup on a monté ce label justement pour sortir des disques vinyles. Quand on s’est lancé en 2007 c’était vraiment le creux de la vague du vinyle : par exemple pour le premier album qu’on a sorti, Doug Hammond, on avait fait un 45T avec un remix de Fourtet et je me souviens les gens nous disaient « vous êtes fous ! un 45T  de jazz, personne ne va acheter ça !». Résultat on en a fait 500 copies et on a repressé 5 fois... Notamment pour les japonais, et puis c’est devenu un disque un peu culte. Donc voilà, faut savoir faire des choses différentes. Faire des beaux albums en vinyle c’est une dimension supplémentaire : l’objet en lui-même mais aussi les notes de pochettes, notamment pour les compilations dans lesquelles on s’attache vraiment à raconter des histoires sur l’origine des morceaux, l’histoire des artistes, le contexte etc. C’est un travail journalistique, c’est important pour nous. Même si le digital a pris le dessus, on vend toujours beaucoup de vinyles, ca doit au moins représenter un tiers de notre chiffre d’affaire.

Du coup est-ce que vous trouvez votre équilibre financier ? Est-ce que tu es seul à bord ? As-tu réussi  à embaucher ?

Oui, ça ce développe mais c’est ce que l’on appelle du « slow business ». On a commencé avec Antoine Rajon à deux mais on avait des boulots à côté à l’époque.

Antoine Rajon qui a repris Buda Musique...

Exactement ! Et puis aussi Niami Nyami, en plus d’être tourneur qui est son principal métier et il est même en train de monter un autre label qui s’appelle Cosmos ! On a gardé de très bonnes relations, il faut un super travail donc on se soutient mutuellement dans nos projets.

Après son départ j’ai tenté l’expérience à plein temps sur le label et puis avec le succès de l’album de Guts « Hip hop after all » et tout ce qu’on avait lancé, c’était sur de bons rails. C’est un peu « les petits ruisseaux font les grandes rivières... » J’ai pris un stagiaire puis j’ai embauché quelqu’un depuis un peu moins d’un an et on arrive à en vivre. Ca grandit doucement mais c’est une volonté, on ne court pas après le succès, c’est un travail à long terme qui paye sur la longueur. C’est une structure légère mais qui nous permet de sortir les disques qu’on a envie tout en sachant qu’on ne peut pas sortir plus de 10 projets par an pour pouvoir bien les travailler.

Comme un bon artisan...

Ouais c’est exactement ça ! C’est de l’artisanat musical ! Du coup les passionnés se retrouvent là dedans. Les gens qui achètent les disques mais aussi les artistes comme on l’évoquait tout à l’heure. Sans naïveté non plus car il y a une réalité économique : si tu perds de l’argent sur tous les projets, tu fermes. Il faut bien le gérer, faire en sorte au moins de pas perdre d’argent et en gagner un peu pour faire tourner le truc. Certains projets qui marchent en financent d’autres qui marchent moins, c’est ça le travail de producteur, prendre des risques mais des risques raisonnables.

On continue donc à voyager. Aller voir les artistes, les magasins de disques etc. c’est important pour nous. Ca permet d’étendre un réseau à l’international et c’est génial. On vend des disques un peu partout et quand je voyage je suis ravi de voir mes disques en bacs au bout du monde, d’entendre un titre à la radio  ou de recevoir un mail d’une personne qui a adoré une de nos sorties par exemple.

Est-ce que tu peux nous parler de vos projets à venir ?

On vient de sortir une compilation de Guts qui s’appelle « Straight from the decks » qui est un peu la suite des compilations « Beach diggin’ » et qui marche bien. En gros c’est les classiques qu’il joue en dj sets. Après on a un projet de musique antillaise qui est un best of d’Erick Cosaque, un percussionniste et chanteur guadeloupéen. Là-bas c’est une légende et il est beaucoup moins connu en Métropole. L’idée c’est de présenter sa carrière et son oeuvre. Nous faisons une réédition de jazz français : les deux albums de Chêne Noir (Cf les compilations sorties il y a quelques années : Freedom jazz France sur Heavenly Sweetness et Mobilisation générale sur Born Bad Records).

Ce sont des bandes originales de pièces de théâtre qui ont eu lieu en 74 et 75, qui sont sorties en vinyle et qui sont devenues très rares. C’est génial ! Un mélange de jazz, de poèsie, de musiques orientales... c’est « différent » mais hyper intéressant ; ça fait un moment que ça doit se faire et ca va finalement sortir d’ici la fin de l’année. On fera aussi un album de Robert Aaron, un saxophoniste américain dont on avait déjà sorti un album il y a 7 ans. Des nouvelles signatures aussi : un saxophoniste qui s’appelle Laurent Bardainne et son projet « Tigre d’Eau Douce », entre jazz 60’s et hip hop...

Un peu comme ce que font pas mal d’anglais ces temps-ci ? Je pense à Tenderlonious et compagnie...

L’idée c’est une réponse française à toute cette scène anglaise. C’est un son différent mais ça emmène un peu de fraîcheur en France, du fait que ce soit différent et que le groove soit vraiment au centre du truc.

On va également faire un album David Walters, produit par Bruno Patchworks le lyonnais (Mr. President, Uptown Funk Empire, Voilaaa etc.). Voila en gros pour les projets... Ah si, Edmony Krater aussi !

Le mot de la fin ?

Continuez à être curieux et à acheter des vinyles !

Et à soutenir les petits labels ! 

Exactement car c’est toujours une économie fragile et le fait que les gens achètent les disques, ça ne permet pas de faire fortune mais simplement d’exister. Et puis ce n’est pas que les labels, c’est tout un éco-système (les médias, les magasins, les distributeurs etc.)  autour du vinyle !

Merci Franck !

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